Un texte relu et corrigé par Charles de Gaulle est finalement envoyé à l’ambassadeur de France en Centrafrique. Il lui demande de limiter au maximum les rapports avec le nouvel homme fort. Il l’invite à être vigilant aux conséquences « qu’une acceptation actuelle de notre part du fait accompli ne manquerait pas d’avoir en ce qui concerne le comportement des cadres militaires de formation française dans d’autres pays africains ». La note dit également que la France s’alignera sur la position des pays de l’OCAM, l’Organisation Commune Africaine et Malgache, qui semblent « a priori réservés ». Puis ces préconisations : « vous n’effectuerez pas de démarches qui pourraient laisser penser que vous vous adressez au colonel Bokassa en sa qualité de chef de l’Etat et du gouvernement. Vous ferez en sorte que vos contacts avec lui aient lieu en dehors de votre Ambassade. Vous vous efforcerez également de lui rendre visite dans sa résidence officielle. »
Pas de reconnaissance officielle, mais les autorités françaises font le choix de laisser s’installer le régime de Bokassa. Elles ne tardent pas par ailleurs à se mettre à la recherche d’un officier qui pourra être envoyé « pour rencontrer le colonel Bokassa ». Dans une note du 22 janvier 1966, transmise au général De Gaulle par les services de Foccart (ceux du secrétariat général pour la Communauté et les affaires africaines et malgaches), cinq noms sont proposés. C’est finalement un sixième officier, l’attaché militaire de l’ambassade, le colonel Méhay, qui sera choisi pour assurer le lien avec le putschiste.
Dans son rapport annuel 1966 (Cité dans LAURENT Sébastien (dir), Les espions français parlent, éditions du Nouveau monde, 2013) Mehay, rappelle qu’ « Avec lui [Bokassa], le virage nettement amorcé vers l’Est, par les abandons successifs de son cousin, a été pris à nouveau vers l’Ouest. » Méhay appuie : « Il convient de ne pas l’oublier. » L’officier nuance les critiques de ceux qui reprocheraient à Bokassa le caractère dictatorial de son régime : « Certes, grâce à l’armée qu’il contrôle et qui lui est fidèle et dévouée, il détient un pouvoir quasi absolu. Il n’y a toutefois pas eu abandon délibéré de la démocratie, mais plutôt adaptation naturelle aux conditions particulières de l’Afrique et aux besoins du moment. » Et l’officier conclut : « Aussi, j’incline à penser que l’intérêt de notre pays est, malgré tout, de faire en sorte que le colonel Bokassa reste au pouvoir aussi longtemps qu’il saura demeurer suffisamment raisonnable. »
« Raisonnable » ? Le mot semble avoir pris au fil des années une définition élastique, Bokassapoussant à l’extrême le pouvoir personnel et la violence… Paris l’aidera même à satisfaire un caprice, celui du sacre impérial en décembre 1977. Il faudra en fait le massacre des écoliers de janvier 1979 pour que l’empereur centrafricain soit lâché… et qu’il soit finalement déposé par l’armée française lors des opérations Caban et Barracuda. Ironie de l’histoire, ce 21 septembre 1979 la France remet au pouvoir David Dacko, le président qu’elle n’avait pas protégé lors du coup d’Etat de la Saint-Sylvestre.
STK